La violence de l'expression

   Si l'écriture n'a pu exorciser longtemps la plongée aux abîmes de la folie, nettement marquée par la tentative de suicide de 1892, c'est peut-être qu'elle porte en elle la possibilité de se fondre dans cet univers où, d'atteindre un noyau pur de violence, le monde et le sujet se brisent.    L'acuité de la vision de Maupassant, si forte, peut devenir vrillante d'intensité : du naturalisme on passe alors à l'horreur de la dépossession et à l'angoisse. Transfiguration du paysage breton qui devient lieu de torture dans la Vie errante, où les arbres dont on vient d'ôter l'écorce présentent " un tronc rouge, d'un rouge de sang comme un membre écorché ". Ils ont pour le narrateur " des formes bizarres, contournées, des allures d'êtres épileptiques qui se tordent ", et il ajoute : " Je me crus soudain jeté dans une forêt de suppliciés... " La force du regard, pathologique, provient de la volonté d'entrer au coeur des choses, des êtres, au coeur du désir sexuel comme au coeur de l'angoisse de la mort. Ce regard, devenu violence, se retourne contre lui-même, et installe une sorte de frénésie, atroce, inapaisable, qui appelle la destruction. Cette simplicité, cette crudité qu'on a souvent reprochées à Maupassant, comment ne pas voir qu'elles sont en réalité une sorte de gloutonnerie, d'hystérie : s'identifier à l'autre - conscience ou objet - pour le saisir. Mais c'est lui qui vous saisit. Les choses ont tant de puissance qu'il ne peut subsister entre elles et celui qui les dit nul écran, nulle protection. Maupassant, directement branché sur les forces de la vie, s'y abolit.

 

La violence de

l'expression

"Si l'écriture n'a pu exorciser longtemps la plongée aux abîmes de la folie, nettement marquée par la tentative de suicide de 1892, c'est peut-être qu'elle porte en elle la possibilité de se fondre dans cet univers où, d'atteindre un noyau pur de violence, le monde et le sujet se brisent."